L’école de magie d’Artaelen proposant des tutorats, Seshat avait sauté sur l’occasion d’en apprendre plus sur la magie de Soins. N’étant pas une novice en la matière, elle prévoyait que ces leçons seraient moins difficile que l’apprentissage d’un tout nouveau cercle de magie. C’est le cœur léger et un panier rempli de potions en provenance de la Fiole Dorée que la Whitestonoise s’était rendu au Dispensaire de la Lumière divine. Bien que la déesse Asra soit déchue, le temple était toujours en activité.

Une file compacte de patients s’étirait depuis la porte d’entrée. Seshat dépassa tout le monde, ce qui entraîna des regards noirs et des commentaires déplacés sur son sillage. Elle se montra indifférente, sa queue annelée s’agitant au rythme de sa démarche chaloupée. Elle avisa une  jeune fille trop bien portante pour recevoir des soins. Elle portait des pansements pliés dans ses mains, et la lionne décida qu’elle devait être une aide ou une sorte d’apprentie.

- Bonjour, je suis Seshat Ra-Sibwa, envoyée par l’école de magie pour le tutorat. Je suis attendue je crois. Vous pouvez prendre les potions qui sont dans mon panier, il y a des sirop contre la toux et des baumes contre les brûlures.

La petite la salua poliment, prit les médicaments puis disparut derrière une porte. Seshat resta debout dans l’entrée, s’intéressant à l’architecture du lieu. Elle ne voulait pas s’asseoir car certains patients avaient besoin d’une chaise. Elle remarqua qu’une certaine quantité de pauvres hères se pressaient au dispensaire : à la Fiole Dorée les patients avaient les poches assez remplies pour payer une consultation, ce n’était peut-être pas le cas ici. La petite réapparut avec le panier, la remerciant pour ce don et la priant d’attendre la grande prêtresse.

Seshat fut interloquée, elle ne s’attendait pas à être reçue par une personne d’un si haut rang. Si elle avait su elle aurait mis des vêtements un peu plus distingués. Elle reconnut tout de suite ladite prêtresse quand elle passa le seuil de la porte :  ce n’était rien de moins qu’une ange. Seshat essaya de ne pas fixer son regard sur les ailes aux plumes blanches qui faisaient monter en elle une envie de chasser.

- La paix soit sur vous dame Maëlys. Dit-elle en s’inclinant légèrement avec la main sur le cœur.  Comme vous le savez déjà je suis ici pour le tutorat. J’ai déjà quelques bases en magie de soins. J’ai étudié à Whitestone puis j’ai officié à la cour royale. Mais je n’ai pas la prétention d’être une guérisseuse de premier ordre.  Même le meilleur médecin a ses limites, que ce soit au niveau de ses connaissances ou ses capacités magiques. Faire preuve d’arrogance peut avoir des conséquences parfois fatales pour nos patients.

Au moins la grande prêtresse pouvait être rassurée, Seshat serait une élève humble et à l’écoute de son mentor. La lionne estimait qu’il y avait toujours à apprendre, surtout dans le milieu médical.

- Je suis à votre disposition pour commencer tout de suite et je suis libre les prochains jours. Avez-vous déjà établi un programme ou dois-je vous assister pendant vos consultations ? demanda t-elle, ses moustaches frémissant d’impatience.

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Comme elle l’avait pressenti, la whitestonnoise serait testée en condition réelle au sein du dispensaire. Si elle avait été à la place de la grande prêtresse, elle aurait agi exactement de la même manière. Elle approuvait ce choix : la théorie de la magie de soin était une chose, la mettre en pratique était une autre. Certains soigneurs savaient comment lancer des sorts, mais dans l’urgence leurs performances étaient médiocres parce qu’ils perdaient pied.

La leçon allait commencer quand une humaine éperdue d’angoisse se précipita vers l’ange, son petit dans ses bras. La lionne dressa les oreilles lorsqu’elle se rendit compte qu’il y avait un certain niveau d’intimité entre l’ange et la jeune mère puisque Maëlys l’appelait par son prénom. Ce n’était pas la première visite du petit Tommy dans le dispensaire. Elle comprit rapidement que rien ne pouvait empêcher la maladie de l’enfant qui, irrémédiablement, s’avançait vers une issue fatale. Si l’enfant ne s’alimentait plus il y avait à craindre qu’il meure dans les prochains jours. La grande prêtresse calma l’enfant par un sortilège puis proposa à Seshat de l’ausculter.

* Le teint de cet enfant est caractéristique d’une défaillance du foie ou de la rate. Son ventre est gonflé, ce qui confirme ce que je viens de dire. * pensa t’elle cliniquement, en agitant ses doigts griffus au-dessus du visage de l’enfant pour le distraire. Le gamin semblait amusé par la présence de l’animorphe qui ne semblait pas plus dangereuse qu’un gros chat.

« Miaou miaou ! » dit la lionne d'une voix douce en émettant un léger ronronnement apaisant. Pendant que l’enfant s’amusait à prendre dans ses bras ses doigts pelucheux, elle en profita pour lancer un sort de Diagnostique. Une brève lumière dorée enveloppa le jeune Tommy. « Bravo petit chaton ! Tu as vu, tu as fait de la magie ! » dit-elle d’un ton réjoui, masquant ses véritables sentiments.

L’enfant avait une maladie mortelle depuis sa naissance et son petit corps ne supporterait pas longtemps l’anémie consécutive à sa rate hypertrophiée. Mis à part soulager sa douleur et accompagner psychologiquement ses parents il n’y avait pas grand-chose à faire. Peut-être leur avait-on déjà fourni une drogue qui endormirait l’enfant paisiblement au lieu de lui infliger une douloureuse agonie.

- C’est une défaillance de la rate, qui est très gonflée. Elle entraîne une jaunisse, une grande faiblesse physique et une anémie. dit-elle en regardant Maëlys. Hélas c’est une maladie qui dépasse de loin mes compétences, j’en suis vraiment désolée madame. acheva t’elle en se tournant vers la pauvre mère qui n’avait pas dû dormir depuis bien longtemps.

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La lionne conserva un air poliment neutre envers la jeune mère et lui souhaita un bon repos avant de s’éclipser avec l’ange. Elles marchaient de concert, leurs pas résonnant dans les couloirs. Maëlys avait l’air d’avoir quelque chose à dire, mais la lionne laissa le silence s’installer pour la laisser mûrir son discours. Certains cas touchent les soigneurs plus que d’autres et la maladie d’un enfant est souvent bouleversante. Malheureusement Seshat apprit que n’était pas le premier décès d’un enfant dans cette famille de cette maladie qui ne semblait pas être épidémique.

- Je comprends. Ainsi c’est un mal familial. Dans mon pays nous nous intéressons aux traits héréditaires. Vous imaginez bien que l’union de certains animorphes entre eux peut être catastrophique : un lézard et un éléphant, par exemple. Il n’y a pas que la taille des individus, il y a aussi des différences anatomiques qui rendent une naissance extrêmement dangereuse et une survie précaire. Nous savons aussi que certaines lignées produisent plus souvent que d’autres des chatons avec des particularités pigmentaires, comme les lions blancs dans la famille royale. Certains prêtres y voient une volonté divine mais il suffit de regarder l’arbre généalogique pour s’apercevoir qu’il y a au moins un cas à chaque génération. Je me souviens avoir lu des livres sur le sujet, mais ils ne sont peut-être pas disponibles par ici. J’en ferai part à la Conquête de Maeve, il y aura sûrement un archiviste qui pourra me trouver ces volumes.

Maëlys devait s’être beaucoup impliquée auprès de ces personnes. La douleur de perdre inéluctablement à nouveau un jeune enfant devait miner son moral. Mais la détresse émotionnelle de la famille était tout aussi déchirant.

- Pour ce qui est du sort que j’ai employé, c’est un simple Diagnostique. Je me suis permise de l’utiliser pour affiner ma première opinion. Vu la santé précaire du petit Tommy je ne voulais pas alarmer sa mère en me trompant, reprit-elle en passant la porte menant à la nouvelle salle.

Cette fois elle se trouva en présence d’un cas beaucoup plus simple : un accident du travail impliquant un marin et un bout qui lui a cassé le poignet. Seshat décida de refaire un sort de Diagnostique pour en expliquer le fonctionnement à Maëlys qui ne semblait pas maîtriser ce sort. L’animorphe prit délicatement la main du marin pour lui faire le moins de mal possible.

- Merci monsieur,  dit-elle poliment au marin qui ne devait pas souvent être traité aussi cérémonieusement. Je vais faire un sort de Diagnostique pour connaître la gravité de votre blessure. Ce sort est indolore mais coloré, vous allez briller quelques secondes. Je vais doucement instiller un peu de ma magie dans votre corps ; nous serons très brièvement liés, ce qui me permettra de savoir dans quel état est votre poignet.

Seshat se concentra et procéda comme elle l’avait énoncé, se reculant un peu pour que l’ange puisse étudier sa façon de procéder.

- Voulez vous essayer, Maëlys ? C’est très simple à faire, je suis sûre que vous réussirez rapidement. Ensuite vous me montrerez comment soulager magiquement un patient, je ne connais pas le sort de Délivrance. Bien que ce soit un dur à cuir, je suis sûre que ce patient souffre beaucoup.

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L’’ange était une élève attentive et très efficace. Elle réussit le sort de Diagnostique du premier coup. Peut-être avait-elle essayé auparavant ? Il avait fallu à Seshat quelques semaines pour maîtriser cette compétence. La lionne était admirative, peut-être était-il temps de lui montrer quelque chose d’autre, qui soit d’un niveau un peu plus exigeant.

- Pour le sort Délivrance, c'est un peu comme lancer un Diagnostique, sauf que la formule est différente, bien évidemment. Je vais commencer par calmer votre douleur, monsieur, poursuivit Maëlys en se tournant vers le patient. Vous pourrez ensuite vous dirigez dans la pièce voisine, ou la jeune Anna vous posera une attelle. Il vous faudra revenir régulièrement par la suite pour que nous puissions suivre la progression de votre guérison.

Elle regarda Maëlys incanter son sort de Délivrance. Comme la technique était proche du sort de Diagnostique, Seshat pensa qu’elle pourrait y arriver facilement. Elle tenterait l’expérience sur le prochain patient. Elle sourit tristement au marin blessé qui passerait de longs mois le poignet dans une attelle. Aurait-il la patience de jouer à nouveau le cobaye ? Peut-être, puisqu’il avait besoin de son salaire pour nourrir sa famille.

-  Ce n’est pas la peine d’embêter la jeune Anna qui doit être bien occupée avec d’autres malades. Je vais souder les os de votre poignet. Ainsi vous pourrez travailler à nouveau dans une semaine, le temps que vos tendons qui ont été quand même été bien traumatisés.

Profitant du sortilège de Délivrance qui anesthésiait la douleur du marin, Seshat posa sa main à plat sur sa cuisse.

-  Une fois le sort de Diagnostique bien établi, le sort de Soudure de l’Os peut être efficacement lancé. Une observation à l’œil nu ne permet pas déceler des esquilles d’os qui se seraient détachées ni même de ressouder convenablement un os écrasé brisé en de nombreux morceaux. Il faut projeter l’image mentale de l’os cassé dans son esprit en passant la main sur le corps du patient tout en incantant. Ce sort attire les os les uns vers les autres tels des aimants. Plus le membre est touché, plus l’opération est longue et coûte de l’énergie magique.

La lionne inspira, ferma les yeux puis passa la main au-dessus du poignet brisé  tout en incantant. L’opération dura une petite minute mais Seshat se sentait fatiguée. Le marin était ravi d’avoir une main comme neuve et la remercia bruyamment avant de prendre le chemin de la sortie. La Whitestonnoise resta encore quelques secondes assise.

-  Si l’on a beaucoup de blessés il faut faire des pauses pour restaurer sa magie. C’est un sort très efficace, mais je préfère l’utiliser avec Diagnostique, alors ma dépense de magie est plus importante. Bien, passons à d’autres cas, dit-elle en se levant.

Au dispensaire il y avait surtout des gens qui subissaient encore les contrecoups du nuage toxique : des toux et des rhinites. Elle avisa une petite vieille à l’allure miteuse, qui peinait à respirer dans son mouchoir. Avant d’aller directement vers la patiente, Seshat prit Maëlys à part pour lui expliquer  la méthode de soins qu’on lui avait enseigné.

-  Parfois il est plus difficile d’avoir des résultats avec un sort de Diagnostique sur une maladie. Les personnes âgées souffrent de beaucoup de maladies différentes, souvent dues à l’age. Lancer le sort ne fait pas tout, puisque l’on décèle diverses pathologies. L’observation du soigneur est très importante pour définir quelle est le mal qui fait le plus souffrir, si les différents symptômes sont reliés . Après que tu te sois exercée au sort de Diagnostique, je tenterai de soulager sa douleur. Bien, allons-y. Bonjour madame, je suis Seshat Ra-Sibwa, soigneuse à la cour de Whitestone. Vous connaissez peut-être la grande prêtresse Maëlys Duncan. Nous allons prendre soins de vous. Dit-elle en s'adressant à la patiente qui ne s'attendait pas à faire face à un chat géant.

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