Seshat avait décidé de rester vivre à la Fiole Dorée. L’alchimiste solitaire avait beaucoup bougonné à son retour :il avait moins de clients parce que plus personne ne faisait les soins. Et puis il avait besoin d’aide pour ses potions parce qu’ il avait du mal à déchiffrer les grimoires de recettes depuis que sa vue baissait… En résumé le vieillard s’était ennuyé ferme en son absence car sa boutique était devenue vide et calme. La lionne avait trouvé ses ronchonnements touchants de sensibilité. Alors elle avait réinvesti les lieux avec en prime des heures de travail fixes et un salaire décent. Elle avait désormais sa propre chambre et la clé de la boutique. Mais attention, elle ne devait rien déranger, rentrer à des heures correctes et ne pas amener d’amis.

Son travail à la Fiole Dorée n’était plus aussi éreintant depuis la fin de l’épidémie. Elle pouvait donc vaquer à ses occupations comme elle l’entendait. Étant membre de la Conquête de Maeve, la lionne ne passait pas son temps libre en taverne, mais à étudier. Elle avait entendu parler de l’école par Uruyendë. Cette dernière l’avait  convaincue de s’essayer à la magie de Feu. Il faut dire que l’enthousiasme flamboyant de l’elfe ne lui avait pas donné envie de refuser son offre. Avant de passer à la pratique la lionne avait commencé la lecture d’un ouvrage traitant des bases de la magie élémentaire pour préparer sa leçon.

Le livre s’avéra être un véritable soporifique et la lionne se présenta un peu en retard pour avoir trop bien dormi. Khesah et Uru étaient déjà là et des cibles avaient été disposées dans la cour. Seshat doutait d’arriver à créer une flammèche dès sa première leçon et encore moins d’atteindre quoi que ce soit.

- Bonjour ! J’espère que vous ne m’avez pas attendu trop longtemps. Est-ce que je dois aller chercher des seaux d’eau ? J’ai peur de mettre le feu à l’école.  dit-elle sur le ton de l'humour.

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La soigneuse fut contente d’apprendre qu’elle n’allait pas lancer de boules de feu. Il n’empêche, un accident est vite arrivé. Une petite étincelle suffit pour embraser la savane whitestonnoise. De la même façon une flammèche incontrôlable pourrait brûler ses vêtements.

Uruyendë incanta puis lança son sort avec un style flamboyant qu’autorisait son expérience. Enthousiaste, elle proposa ensuite à ses deux élèves de lancer le sort comme si c’était la chose la plus simple qui soit. * Hum ! Facile à dire ! * pensa Seshat. L’elfe avait une affinité naturelle avec le feu, ce qui n’était pas le cas de la lionne. Elle se saisit du charbon et le tripota entre ses doigts.

- Une fois que vous serez prêtes, vous n'aurez qu'à répéter la formule en vous concentrant d'abord sur votre source de magie, afin qu'elle se connecte au charbon. Lorsque la boucane s'élèvera, portez votre regard sur la cible, sans perdre votre concentration et laissez la magie faire son travaille.

Les paroles de son mentor résonnaient dans l’esprit de l’animorphe. En théorie, le sort était simple. En pratique il se décomposait en quatre étapes : concentration, invocation, visée et lancer. Le sort pouvait être accessible pour quelqu’un de plus expérimenté comme Khesah. Mais Seshat ne réussirait pas du premier coup.

Première étape : se concentrer sur sa source de magie. La lionne inspira profondément et ferma les yeux. Rentrer en elle pour mieux visualiser les changements de forme l’avait aider pour apprendre la magie d’altération. Le charbon devait-il être altéré pour brûler ou devait-elle créer une sorte d’étincelle ? Ou alors ressentir de la chaleur ? Elle se concentra sur cette idée. Étrangement le charbon ne brûlait pas sa main mais elle sentait colle du brûlé et elle avait désagréablement chaud aux pieds. Elle bondit de côté en feulant : c’est un sort modifiant le sol qu’elle s’apprêtait à lancer.

De son côté Khesah jurait comme un charretier. Ça ne changeait pas de l’ordinaire, donc la lionne comprit qu’elle n’avait pas réussi non plus, mais ne s’était pas blessée grièvement pour autant. Si elle avait besoin de soin elle lui aurait aboyé dessus de la guérir. Son charbon avait explosé mais elle était parvenue à créer un nuage noir de suie. C’était plus encourageant que les débuts de l’animorphe.

- Attention à vos semelles, le sol va rester chaud quelques minutes. Je suis vraiment désolée, je ne sais pas comment m’y prendre pour mettre le feu au charbon. Je n’utilise pas la magie élémentaire, donc c’est nouveau pour moi et je risque de lancer des sorts d’altération à la place. Que dois-je faire ? Concentrer ma magie dans ma main ou méditer un moment sur mon lien avec la chaleur et le feu pour être en phase avec cet élément ? Ou autre chose peut-être ?

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Après avoir juré puis écouté l’elfe, Khesah ne se soucia plus d’elles. Elle semblait plus enragée que jamais d’avoir raté sa première tentative et le regard qu’elle posa sur le charbon aurait pu faire fuir les plus intrépides. Seshat ne savait pas ce qu’elle avait en tête, mais l’hybride semblait vouloir massacrer tout ce qui se dresserait contre elle. La lionne trouva sa détermination dangereusement menaçante ; elle n’aurait pas voulu être son adversaire. Seshat la surveillait du coin de l’œil  pour éviter un éventuel jet de brandon puis écouta docilement les instructions d’Uru, sa queue serpentant calmement.

- Je comprends mieux. Cette explication est très éclairante, comme un feu dans l’âtre, osa t-elle avec humour en clignant d’un œil. Lâcher prise va me causer une petit peu de difficulté. En fait je maîtrise surtout la magie de soin et un peu celle d’altération. Pour la magie d’altération il faut transférer ta magie sur l’objet ou la partie du corps puis visualiser ce que tu veux obtenir jusqu’à ce que la matière obéisse à ta magie. Pour ce qui est du soin l’envie de soulager le patient ne suffit pas. Il faut d’abord insuffler sa magie dans le corps du patient de façon subtile pour qu’elle ne soit pas rejetée ou qu’il n’y ait pas une sorte de réaction allergique. Ensuite visualiser les organes traumatisés et enfin diriger la magie insufflée dans le corps du patient pour qu’elle régénère correctement l’organe. Les deux magies fonctionnent sur la volonté et la précision. Comme tu l’as compris si l’on ressent trop de colère, de pitié ou d’anxiété les effets peuvent être terribles pour la personne qui subit le sort.

Seshat avait tenté d’expliquer le fonctionnement de ces magies le plus simplement possible. Certains mages n’arrivent tout simplement pas à maîtriser le soin ou l’altération faute d’avoir une capacité de concentration suffisante.

- Pour réussir le sort de boucane je dois laisser les émotions m’envahir sans jeter malencontreusement un sort raté d’altération. Pour mon premier essai j’avais pensé aux sables chauds du désert, donc le sol s’est réchauffé. Est-ce que je dois libérer une émotion plus intense ou la nostalgie de la chaleur de Whitestone pourrait simplement suffire, en dirigeant ma force magique dans le charbon ?

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S eshat appréciait cette leçon avec l'elfe flamboyante. Toutes deux se comprenaient à merveille et les explications du professeur étaient pratiques et limpides. Rien de pire que d’assommants discours théoriques pour commencer la maîtrise d'une nouvelle branche de magie.

- La nostalgie est amplement suffisante. Plus intense, tu risques de faire exploser ton charbon toi aussi, ce qu'on va tenter d'éviter. C'est justement la nostalgie qui me permet de lancer moi-même Boucane, puisque les forêts d'Elyria me manquent.

L’animorphe tourna son oreille gauche sur le côté puis cette dernière reprit bien vite sa place habituelle, haut plantée sur son crâne. Par tous les démons d’Ashland comment le sort Boucane pouvait-il être lancé en évoquant le souvenir des forêts d’Elyria? Uru avait-être un compte à régler avec le royaume ou pire, était-elle une dangereuse pyromane ?  Seshat classa cette information comme un mystère à élucider pour sa curiosité et sa sécurité. Elle avait déjà subi les conséquences hasardeuses d’une boule de feu dans un couloir par un confrère, elle ne voulait pas qu’une autre lui roussisse la fourrure.

La lionne centra son charbon dans sa paume et concentra son énergie en ce point, comme lorsqu’elle doit effectuer un sort de soin à un endroit bien précis. Elle visualisa un feu de bivouac dans le désert sous un magnifique ciel étoilé. Elle fixa son esprit sur l’odeur du brasier pour créer une fumée. Ses narines frémirent lorsqu’elle renifla la même odeur dans sa paume. Un sentiment d’exultation s’empara d’elle : elle avait réussi à lancer un sort de magie élémentaire, ou du moins la première étape du sort. Lorsqu’elle contempla son charbon un mince filet de fumée, aussi vaporeux que la carbonisation d’un petit bâton d’encens, s’élevait au-dessus de sa paume. Il vacilla dans l’air puis s’éteignit bien vite. La lionne fronça le nez, un peu déçue. Mais elle devait se rendre à l’évidence : pour une première leçon c’était déjà beaucoup.

Seshat retenta l’expérience : cette fois la fumée fut plus épaisse, mais elle remarquait qu’elle dépensait peut-être un peu trop d’énergie pour obtenir ce résultat. Qu’importe : elle lança son projectile fumant en direction de la cible qu’elle manqua de quelques centimètres. Le charbon resta incandescent quelques secondes puis s’éteignit en se désagrégeant.

- C’est beaucoup mieux, même si le charbon ne fume pas longtemps. Je pense que ça s’améliorera avec l’expérience, non ?   demanda t-elle à sa professeur du jour. L’elfe devait encore avoir quelques conseils à lui prodiguer.

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